Di da di da di da dam !

 

 

Sa ruelle donnait sur une artère du Quartier Latin dans laquelle il s'engagea avec une pesante sensation de perte, d'éloignement à tout et à lui-même. Il déboucha dans cette artère avec l'impression de se glisser du bout des lèvres et sur la pointe des pieds dans un monde fait par d'autres et pour les autres, des autres dont le goût, bon ou mauvais, (mais surtout mauvais, ne tarda pas à se rattraper Palerno, soudain las de la tolérance, des ventres mous, et des complaisances de toutes sortes), dont le goût ne serait pas la préoccupation première, néons et guirlandes lumineuses hors de saison, vitrines saturées, beaucoup de rouge, beaucoup de noir, force clignotements et force clins d'oeil, république bananière sans bananes. Monde ô combien laid de cette artère, bruyant et inconfortable, sans parfum, sans enfant et sans soeur.

– Et heureusement, grogna Palerno, que telle n'est pas leur préoccupation première, puisque ce goût est mauvais.

Aux feux, une grosse automobile bleu nuit passa près du trottoir dans une gerbe d'eau sale. Palerno n'eut que le temps de reculer de quelques centimètres, et ses chaussures seulement furent éclaboussées.

Comme il avançait, tête penchée, menaçante et sans but, son regard fut attiré par la vitrine illuminée d'un magasin de télévision et de Hi-Fi qui exhibait sur une vingtaine de mètres et d'exemplaires, en demi-teinte et polychrome, le menton et les joues de celui qu'il identifia sur le champ comme le Meilleur Esclave Du Monde. Palerno faisait aller son regard d'un écran à l'autre, pareil à ces chats déconcertés devant un aquarium, déconcertés par la multiplicité des proies, ou leurs mouvements trop rapides qui les démultiplient, font friser leur désir. L'homme - un présentateur de ces sortes de jeux télévisés - mettait un empressement pathétique à prouver qu'il était le meilleur esclave du monde, Palerno pouvait presque lire son acronyme, "Mescdum", gravé comme une charade dans les fossettes, rides et replis de son menton.

– M. Palerno, comment le savez-vous, on n'entend rien derrière la vitrine d'un magasin d'électro-ménager ?
Et c'est vrai, il n'entendait rien, et surtout pas l'énoncé
"je je je je je je je
suis suis suis suis suis suis
le le le le le le
meilleur meilleur meilleur meilleur meilleur
esclave esclave esclave esclave esclave ..."
parce que sur ces vingt mètres de vitrine, Mescdum ne l'a pas dit une seule fois (Palerno le savait, il lui était arrivé, jadis, de pratiquer la lecture labiale). Dans l'angle de son menton, Palerno avait vu toute la tension du jeune homme télévisuel qui fait de son mieux pour être ce qu'à cette minute des millions de voyeurs effacés souhaitent qu'il soit.

Ce serait le fond de sa conférence, ce soir, s'il pouvait arriver à temps.

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