Sa ruelle donnait sur une artère du
Quartier Latin dans laquelle il s'engagea avec une pesante sensation de
perte, d'éloignement à tout et à lui-même. Il déboucha dans cette
artère avec l'impression de se glisser du bout des lèvres et sur la
pointe des pieds dans un monde fait par d'autres et pour les autres, des
autres dont le goût, bon ou mauvais, (mais surtout mauvais, ne tarda
pas à se rattraper Palerno, soudain las de la tolérance, des ventres
mous, et des complaisances de toutes sortes), dont le goût ne serait
pas la préoccupation première, néons et guirlandes lumineuses hors de
saison, vitrines saturées, beaucoup de rouge, beaucoup de noir, force
clignotements et force clins d'oeil, république bananière sans
bananes. Monde ô combien laid de cette artère, bruyant et
inconfortable, sans parfum, sans enfant et sans soeur.
– Et heureusement, grogna Palerno, que
telle n'est pas leur préoccupation première, puisque ce goût est
mauvais.
Aux feux, une grosse
automobile bleu nuit passa près du trottoir dans une gerbe d'eau sale.
Palerno n'eut que le temps de reculer de quelques centimètres, et ses
chaussures seulement furent éclaboussées.
Comme il avançait, tête penchée, menaçante
et sans but, son regard fut attiré par la vitrine illuminée d'un
magasin de télévision et de Hi-Fi qui exhibait sur une vingtaine de mètres
et d'exemplaires, en demi-teinte et polychrome, le menton et les joues
de celui qu'il identifia sur le champ comme le Meilleur Esclave Du
Monde. Palerno faisait aller son regard d'un écran à l'autre, pareil
à ces chats déconcertés devant un aquarium, déconcertés par la
multiplicité des proies, ou leurs mouvements trop rapides qui les démultiplient,
font friser leur désir. L'homme - un présentateur de ces sortes de jeux télévisés - mettait un empressement pathétique
à prouver qu'il était le meilleur esclave du monde, Palerno pouvait
presque lire son acronyme, "Mescdum", gravé comme une charade
dans les fossettes, rides et replis de son menton.