Et puis une station de métro apparut. Un gros cirrus débonnaire souriait dans le ciel, arrivait à dérider jusqu'à la verdure vieillie des ferronneries du métro, bouche bée. Palerno pressa le pas. L'homme qui le suivait ne tarda pas alors à accélérer, et le précesseur, au signal de ce tip-tap tip-tap précipité, ralentit son rythme et le laissa dépasser, consultant une fausse montre, ou faisant mine d'en lire une vraie, si bien que très vite celui qui était derrière, se retrouva devant. ...
Cet air de famille jusque dans la nuque.
Tout ce manège évoquait les manœuvres des pantins fichés sur rail dans les jeux vidéo ou similaires, l'effet de synchronisation était remarquable, et mécanique. Palerno commença, et justement à cause de cette synchronisation et de son caractère mécanique, il commença à douter du sérieux de ces grumes, de leur pertinence. Ces hommes étaient d'une autre époque, une méthodologie dépassée, un univers mort. Dans sa main droite, Palerno serra la poignée de la valigietta qui lui parut très vaine, aussi vaine que tous les êtres et les objets qui encombraient son champ de vision, et qui, complices, s'épuisaient dans l'exécution de créneaux plus ou moins réussis. Une très vieille coccinelle démarra dans un nuage de graisse brûlée puis s'éloigna ; rien, plus rien au bout des yeux, seulement la mallette au bout des mains à quoi se raccrocher, et dans le nez, une forte odeur de gaz inbrûlés.
Et puis le gros cirrus poussé doucement vers l'ouest se posa tout à coup devant le soleil, et ce fut comme une éclipse.

New Nuque avait dépassé la bouche de métro de onze pas au moment où Palerno commença à dévaler les marches. Dans la station, il prit appui sur sa petite valise pour enjamber les machines, surprit un regard de connivence des tueurs au moment où, à demi retourné, il opérait son rétablissement. Les deux hommes bousculèrent la machine, se résignèrent à enjamber les tourniquets, côte à côte. Mais Palerno avait déjà disparu. Le silence dans la station pesait comme un crépuscule. Après un bref couloir, l'enfilade d'un quai, avec cinq voyageurs attentifs, secoués de leur torpeur par cette avalanche de pas, et qui feraient à coup sûr d'excellents témoins.

C'était First Nuque qui l'avait suivi, l'autre était allé s'égarer en face, sur un quai vide, l'air ridicule et vaguement tyrolien, dans le faisceau de sept paires de regards qui le virent tenter de recomposer un itinéraire de métro à partir des plans de bus, tâchant au mieux de rétablir lacunes et manques occasionnés par tagueurs ou vandales vulgaires, cherchant peut-être encore une faute d'orthographe, finissant par comprendre qu'il s'était trompé de direction. Nation ! Étoile ! Sept paires de regards encore, sur l'autre rive, purent apprécier l'emphase de sa déconvenue, la sourde amertume qu'il nourrit à l'encontre de lui-même, son engagement tacite à ne plus jamais se faire avoir de la sorte, sa résolution à ne pas persévérer plus longtemps dans l'erreur.

Rares les rames, nul grondement de rhombe dans le lointain. Le tueur ridicule faisait encore effort pour restaurer sa dignité quand il les rejoignit sur le quai.

Pendant ce temps, Palerno avait fait les cent pas, glissant sans trêve le long du quai, loin de la fosse cependant, évitant toute immobilité potentiellement fatale. Les deux grumes bougeaient aussi, dans l'amplitude d'une longueur de voiture de part et d'autre de Palerno, et il fut confirmé dans l'idée qu'il n'avait rien à craindre de pareils pantins, et sa peur se dissipa. Il réduisit ses trajectoires pour se stabiliser presque à la hauteur des premières classes, et sur ces entrefaites, une rame arriva.

Suite ...