There was a dead silence.

Pas de groom, cette fois. Évaporé, le prestidigitateur empressé et farfelu. Cela sentait le chaud, et s'accrocha à lui une électricité statique à mettre mille chats hors d'eux-mêmes, et qui fit se dresser le fin duvet de son chapeau. Tout était sens dessus dessous, on reconnaissait l'œuvre de primaires, ou de gens qui nourrissaient un sérieux dessein de délivrer une image désastreuse d'eux-mêmes : les computers étaient empilés les uns sur les autres, posés comme ça, à la va-comme-je-te-pousse, sans souci de la fragilité de toute cette électronique, posés sur leurs claviers, sur les claviers d'autres postes, dans le désordre, les imprimantes verticales, comme si on avait voulu chercher quelque chose sous tous ces objets. Or, la nature du lieu, l'essence de toutes ces machines, tout indiquait que si quelque chose était caché, c'était forcément dans - dans tous ces mots cachés au ventre des machines. Ou bien tous ces empilements n'avaient eu d'autre dessein que la torture morale, comme de rayer une carrosserie luxueuse sous le nez de son propriétaire.

Le courant n'avait pas été coupé, les moniteurs modulaient une onde molle et discontinue, projetaient des particules partout dans le corridor, au jugé. Dans le fond du couloir, le prestidigitateur était assis, affalé sur la moquette, la plinthe comme un tout petit traversin, et affublé encore de cette sorte de livrée de majordome. Il tirait odieusement la langue sur le côté gauche, et ses yeux étaient ouverts, l'air de ne pas savoir si c'était du lard ou du cochon. Palerno remarqua qu'ils avaient perdu toute leur irritante malice.

Des floppies au format trois pouces et demi traînaient un peu partout, comme disposées par un Petit Poucet postmoderne, et répertoriées par lettres, les dernières connues de l'alphabet, avec leurs sonorités extrêmes, WYZ, WXY, YWX, YWZ, YYZ, WTU, WTX, WTW, WWT, YXT, WZY, TXY, TTW. Il devait y avoir parmi elles, la suite des aventures de Ludwig, ou d'autres histoires de Ludwig, d'autres aventures peut-être de Willelm, ou de Yohann, de Zara, qui sait ? Palerno fit un petit tas de toutes les disquettes marquées d'un W - on ne peut raisonnablement s'intéresser à toutes les histoires - il laissa les autres : Petit Poucet pourrait encore y trouver son chemin.

Et puis son regard s'arrêta sur la canne du prestidigitateur avec son joli pommeau doré, diagonale arbitraire sur le plancher en désordre, point d'exclamation désormais inutile, et il la trouva très désirable. Il laissa fureter son regard, à droite, à gauche, dans les angles du plafond, et s'en saisit. Il retira ensuite son chapeau et y glissa un petit paquet de disquettes que des experts dans de lointains bureaux grésillants pourraient à loisir étudier, déverrouiller, lire, pour retrouver peut-être les lignes du funeste destin de Ludwig.

Il n'avait pas refermé la porte de l'ascenseur. Tel quel, sans autre accès que l'ascenseur, et à condition qu'on en en maintînt ici la porte ouverte, ce corridor était une forteresse inexpugnable. D'un autre côté, c'était aussi un foutu trou à rat. Si le gardien d'Instructor avait vraiment des choses à cacher, comment se pouvait-il qu'il n'ait pas prévu une sortie de secours ? Palerno essuya soigneusement la touche marquée Instructor avec le revers de sa manche, et pressa le bouton du second étage. La cabine raclait toujours en quelques points, peut-être moins que la dernière fois, effet d'une lente érosion, ou d'une hygrométrie plus favorable. Personne sur le palier du second. L'ascenseur en dérangement n'avait dérangé personne. Pas de bruit en bas, seulement dans le hall un homme de type malgache, dans une sorte d'uniforme, confrontant les noms des boîtes aux lettres avec une liste qu'il serrait dans le creux de sa main. Palerno se glissa dans la rue et finalement dans un taxi, où il put extraire le chapeau de sous son manteau.

Le chauffeur vit son geste, il croisa son regard dans le rétroviseur, mais son champ de vision ne lui permettait pas de distinguer le chapeau mou plein de disquettes. Il s'entêta à le scruter par intermittences, puis, sans doute lassé que Palerno ne l'agresse point, il se décida à regarder droit devant lui, la circulation, les chausse-trappes que doit gérer un taxi avisé. Palerno palpait doucement les disquettes, cherchait à y reconnaître un W quelconque, quand il sentit sous ses doigts une surépaisseur. S'efforçant de ne pas attirer l'attention du chauffeur, il gratta doucement, décolla, finit par déchirer l'étiquette, sous laquelle il trouva une sorte de carte de deux centimètres de côté, portant une adresse.

Il la communiqua au chauffeur, qui sursauta quand il le vit approcher son visage, bougonna, et profita de l'avenue large où ils se trouvaient alors, pour faire demi-tour. Ce faisant, il glissa quelques paroles sèches, réprobatrices et moralisatrices, invoquant la déontologie et les courses en banlieue lointaine, les conflits pratiques qui s'ensuivaient, à quoi Palerno coupa court :

– Vous prendrez la parole quand on vous le dira, et seulement quand on vous le dira.
Une fois sa manœuvre accomplie, le taxi lui jeta un regard peu amène que Palerno lui rendit rubis sur l'ongle. Il profita de cet afflux d'humeurs bilieuses qui distrayaient le chauffeur pour enfermer les disquettes marquées du W dans l'accoudoir, et releva le numéro du taxi.

À tout prendre, se pourrait-il que ce chauffeur ne se souvienne pas de moi ? songea-t-il.

Il serait toujours temps de retrouver Ludwig et ses histoires, ou peut-être pas, peut-être jamais. Le taxi, jouant péremptoirement de ses amortisseurs, le déposa à l'entrée de la rue, et Palerno lui laissa une grosse coupure pour lui donner à méditer sur les apparences et les méprises. La rue était étroite, bordée d'immeubles inspirés des gratte-ciel new-yorkais des années 50, mais plus bas. Ils avaient été fraîchement repeints dans des tons de guimauve. Palerno n'avait jamais mis les pieds dans le secteur, jamais entendu le nom de cette rue, mais il semblait y faire bon vivre, malgré l'apparent éloignement des commerces de bouche.

Suite ...