Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissemnt des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
G. Flaubert

 

 

Conclusions provisoires de Palerno :

 

Que trouve-t-on sur l’Internet ?

Essentiellement tout et n’importe quoi. Mais n’allez pas croire : pas spécialement plus de n’importe quoi que de tout. Grâce à la clairvoyance des journalistes, leur froideur professionnelle et leur salutaire mouvement de recul devant l’aubaine du papier scandaleux, Palerno savait avant même d’y avoir mis les pieds que l’on trouvait sur Internet des nazis, des pédophiles, des sectateurs et des sectaires, et des gens qui donnent les bonnes adresses pour trouver des graines hybrides de première génération de marijuana, et la méthode pour les cultiver en appartement.

Mais le problème, dit Palerno, ce n’est pas l’existence de sites nazis ou pédophiles, le problème est qu’il existe des nazis, des pédophiles, et des gens assez absurdes pour faire pousser la marijuana dans des appartements.

Faut-il les dissoudre ?
 

On lui a parlé de microcosme, et Palerno souscrit provisoirement à cette idée : tout et n’importe quoi. Et cela ne gêne pas Palerno de le laisser croire. L’Expert lui a montré : des jolies filles, parfois dénudées, et faisant des mines. Des cours de bourse et des suggestions d’investissements (Palerno quant à lui recommande la haute technologie : puces, modems, composants électroniques. Il en reparlera à la fin). Les programmes de la télévision à courte échéance.
L’Expert lui a montré : un évêque, ce qu’il dit et ce qu’il en pense. Beaucoup de gens qui conseillent à d’autres ce qu’il faut aller voir (New !). Les Rolling Stones. Jacques Derrida. Des gens qui essaient de faire de la littérature. D’autres qui donnent leur avis à ce sujet. Un nombre infini de sites qui aident à trouver quelque chose et à ne pas se perdre. L’Expert, le ton soudain grave, a émis de sérieux doutes à ce sujet.
Des sportifs, des gourous, des analystes, le ministère de la culture, des journaux et des physiciens. Des nazis qui s’adressent aux nazis, des croyants à d’autres qui partagent leur foi, des savants à d’autres savants. Que trouver à redire à cela ? Toutes les tribus de la terre.

 

Faut-il les dissoudre ? Certaines, seulement ?

 

Et Palerno pense : ANTICIPATION. L’Internet est une anticipation, l’avant-garde de la télévision qui multiplie les chaînes et fait proliférer les bouquets. À chaque tribu sa chaîne, et le téléspectateur sera bien gardé. Palerno sait que des hommes de bonne volonté s’insurgent contre cette atomisation, couvrent leurs dos de sacs et leurs têtes de cendres en pleurant le lien social que garantissent, à leurs yeux, les chaînes généralistes. Mais que faire de cette bonne volonté ?

L ’Expert parfois quitte son écran des yeux, ou sa souris, ou les voyants du modem, observe Palerno, guette ses réactions, cherche dans ses yeux, sur ses mains : la palpitation d’une narine, un indice de saturation. Mais Palerno n’est pas fatigué du monde, et il peut l’observer sans lassitude, et longtemps : tout et n’importe quoi. N’est-il pas payé déjà pour le faire ? Étudier la télévision ? Palerno sourit.

Et puis, soudain lassé d’attendre des signes qui ne venaient pas, l’Expert grommela :

 

– On va voir les News...

 

On en avait parlé à Palerno. Forums de discussions, démocratie en marche, pouvoir échanger sur n’importe quoi avec n’importe qui. Et poliment, en respectant la nétiquette. Et puis il comprit très vite : l’Expert n’avait d’autre projet que de l’écoeurer.
Les news : des phrases tellement... courtes.
Tellement d’insouciance orthographique (Palerno se surprend parfois à être si viscéralement ringard) quand les niouzes sont en Français.
Comment commencer à penser en moins de trois phrases ?
Deux phrases parfois.
Babillage.
Banalités.
Mais pas toujours.

Du coin de l’oeil, Palerno vit que l’Expert jubilait. Pour l’achever sans doute, mais comme incidemment, l’écran s’illumina de recommandations sur la nétiquette. La nétiquette. Palerno résiste difficilement à un jeu de mot, et celui-là l’avait séduit.