L’Idéal seul est le Réel.
G.W.F. Hegel


Savoir ce que parler veut dire.

Quand il lui arrive d’enseigner, Palerno a la faiblesse de croire qu’il importe de savoir ce que parler veut dire.

Avant qu’il rencontre l’Expert de l’Institut, avant qu’on l’ait instamment prié d’aller voir l’Expert, l’Internet n’était pour Palerno qu’un symptôme supplémentaire de ce dérèglement de la parole qui affecte l’époque. Des acceptions étranges. Néologismes baroques (il l’a entendu : downloader, verbe du premier groupe; zipper, sans aucun rapport avec la dignité des braguettes).

Solécismes et barbarismes tout en un.
Par exemple, on lui parle sans rire du virtuel alors qu’on est assis devant une machine qui fait bien ses trente livres au bas mot ... On effleure un clavier, on fait glisser une souris, on presse des touches parfois qui génèrent des ERREURS FATALES (Palerno, discrètement, désinvolte, les a repérées). Peut-être le simple fait d’effleurer un clavier au lieu de le marteler, de faire doucement glisser un topolino, induit-il cette croyance qu’on joue dans le virtuel ? Il ne comprend pas.
Il s’émerveille à la pensée que des milliers d’hommes et de femmes, des millions peut-être, aient pu découvrir grâce à Internet la formidable puissance virtuelle des mots. Car, devant un mot, non pas l’objet, mais l’idée de l’objet. Virtuel, donc. L’absente de tout bouquet.
Récemment un collègue, la mine complice, lui a parlé de l’HYPERTEXTE. Il lui a expliqué : la mobilité, les déplacements, la course du furet dans un document, même infini ! et Palerno lui a répondu qu’il croyait sincèrement qu’il y aurait fort à faire avec ce concept, cet instrument, s’il n’y avait pas la guerre. Et comme cela arrive souvent dans les échanges de Palerno avec ses collègues, le sourire de l’autre a pâli, il s’est levé piteux, s’est éclipsé.
Il a visité l’Internet, et en fait d’hypertexte, il a surtout remarqué des fautes d’orthographe.
Et toutes ces dénominations : Internet, l’Internet, la toile, World Wide Web, www... Palerno ne peut décider si ces dénominations pléthoriques témoignent au fond d’une gêne, d’un souci de dissimulation, ou d’un foisonnement à mettre sur le compte d’une effervescence baroque, cette radicale indécision qui hante la post-modernité. S’agit-il d’une périphrase, ou d’une métaphore ? World Wide Web : de l’allitération, et Palerno y est foncièrement favorable. Un microcosme ?
Ambitieux, pour un écran de 14 pouces...
Et Palerno dessine : www; il reconnaît trois paires de fesses.
Pourquoi trois ?
Et sans encore compter jusqu’à trois : le web, la toile, le réseau, le filet ? Il manque trop foncièrement d’indulgence pour croire que les mots, et ceux-là précisément, puissent être anodins. Trop foncièrement pour pardonner des filages de métaphores bancals : surfer sur une toile ! Qu’on en parle à la mouche ! Il enrage à l’évocation de l’instrument qui permet de surfer, et qui se trouve être, non une planche, mais étrangement, un « butineur » (browser, en anglais. – Big Browser ? on verra. – Une paire de fesses unique, mais en son centre). "Fureteur" au Québec, mais cela n'arrange rien à l'affaire... L’abeille prise dans la toile, attirée par le miel, et cela lui rappelle quelque chose, ne sait quoi, et son esprit dérive sur Alzheimer.
Instruments de prise et de capture.
Encore faut-il savoir ce qu’il importe de capturer.
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