L’Internet est-il un média de masse ? |
En l’état actuel des choses, non. |
L’est-il virtuellement ? |
Palerno n’a pas envie de s’appesantir encore sur ce mot. Mais il sait, et l’on devinera
aisément à quel point cette information a pu l’amuser, il sait qu’à
un moment où environ 50 000 Français étaient effectivement connectés
au réseau Internet, 100 000 étaient persuadés de l’être. Il
soupçonne quelque chose du côté des immatriculations provisoires en
ww... Comme Elmer qui s’inquiète
de son corpus, Palerno se soucie avec rigueur de l’extension de son
champ disciplinaire : les médias de masse. L’Internet peut-il
entrer dans cette catégorie ? Palerno va-t-il pouvoir commencer à en
parler ? Il a lu avec un très vif intérêt un article
récemment paru dans la presse spécialisée (il ne se souvient plus du
nom; des W en surnombre pour ceux que ça intéresse), et qui
derrière le titre : Les internautes sont des hédonistes impulsifs
était consacré en fait à ce sujet : Internet peut-il devenir à terme
un media de masse ? Implicitement : de combien d’écrans publicitaires pourra à terme se couvrir le réseau ? Dans le décours de sa lecture, Palerno a reconnu l’auteur de l’article. Pas à son nom – il s’angoisse
beaucoup de son incapacité à mémoriser les noms qu’il lit – mais
à ses propensions à filer la métaphore : un sociologue tendance
mercatique qui naguère prétendait plaisamment que les rayons des FNAC
étaient fréquentés, selon lui et selon les étages, par des aventuriers
(appareil photo en bandoulière), ou par des cigales exocentrées
(CD à la main, machinerie musicale à l’épaule, ou à la ceinture),
les rayons des hypermarchés plutôt par des recentrés (chemise
à fleur, et consommant force yaourts). Les épiceries de centre ville
ou les rayons épicerie fine des hypermarchés par des traditionalistes
(irrépressible besoin de fibres et de fiabilité, automobile Volvo). Il
y avait aussi des décalés, très réticents à l’égard de la
société de consommation, qui hantaient les hangars de banlieues
foraines, qui étaient de tous les déstockages, braderies, enchères et
encans. Palerno aimait surtout les cigales exocentrées, et les yaourts.
Pour les yaourts, le goût, et pour les cigales, le concept –
il éprouve quelque scrupule à employer ce mot, car il sait qu’il
signifie aujourd’hui quelque chose qui peut se résumer facilement :
produit, argument, émission de télévision. |
Palerno ne sait pas faire cela. |
Et cet
habile sociologue dont il a oublié le nom exerce maintenant son esprit
pénétrant sur l’Internet, et file de nouvelles métaphores. Palerno
n’a pas envie de résumer, il pense au contraire que ces concepts
méritent développement et explicitation. S’il s’en trouve que cela
intéresse, Palerno les renvoie à l’article (une revue avec beaucoup
de w), ou à ses propres développements. Pour les esprits synthétiques qui feront
aisément l’économie de ce détour, quelques remarques : selon cet
article (qui s’appuie sur une étude; Palerno sourit) tout le
monde dit I love you, et est websurfer. Virtuellement websurfer.
Y compris ceux qui actuellement ne websurfent pas, et ceux qui auront
toujours mieux à faire que websurfer. |
a) en devenant
un media de masse, b) en faisant la conquête de websurfers incertains. |
Il lui semble
utile de pointer quelques contradictions : Quel rendement attendre du « coeur de cible », des hédonistes impulsifs qui ne veulent pas payer ? Des égotistes et des activistes sans doute rétifs aux écrans publicitaires (cela fait partie des premières leçons de Palerno pour les étudiants de première année : le rapport à l’activité. Regarder la télévision suppose un pacte implicite d’ensommeillement. Les impulsions sur la zappette sont des petits sursauts déjà induits par le sommeil. Cliquer, et double-cliquer plus encore, suppose un état de veille hystérique, et autorise quelque chose comme une fuite, une dérive. Palerno a vu. Il a cliqué sur tous ces petits signes bleus, et pendant quelques secondes, il l’a vu, on n’est nulle part. La transe cesse. On se réveille). Restent des loups assagis qui n’ont pas le temps, des chats persans qui ont autre chose à faire, et des blaireaux qui ont d’autres écrans à contempler. Décourageant. L’Internet n’est pas prêt à entrer dans le champ d’étude de Palerno. |
Palerno n’est pas près d’en parler. |
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