... n'a rien fait qui suscite le respect.

F. Mitterrand


 

Monsieur Palerno,

je vais commencer par vous irriter, et me présenter en vous disant que vous ne pouvez manquer de me connaître. Je suis un de ces criminels, à vos dires, responsable des programmes sur une chaîne à fort taux d'écoute, et par là responsable de cette sorte de délabrement de l'humanité dont vous vous complaisez à noircir vos articles.

Pour vous détendre un peu : j'avais songé à rédiger l'attaque de cette lettre dans un registre très Voltairien, et commencer ainsi :

Monsieur, je viens de recevoir votre dernier article contre le genre humain.

Mais j'ai pensé que, dans la mesure où vous connaîtriez la source, vous ne manqueriez pas d'être offensé, par le mot « article ». Un article de Palerno sur les médias en balance avec le Discours sur l'origine de l'inégalité, c'eût été un peu fort, non ? Mais baste !

Passons au vif du sujet : pourquoi vouloir répondre à un détracteur, et dans une dissymétrie relationnelle qui n'est pas pour me favoriser ? Vous tirez à boulets rouges sur tout le monde, tout ce qui bouge, en gros et dans le tas, mais si vous signez vos articles du nom « Palerno », on est censé savoir que ce sont les mots Raison, Culture, Humanisme, qu'il faut lire derrière ce nom propre. En vous répondant, il faut que je m'assume, pauvre Pascal Pareille, Pauvre Marchand de Soupe.

Eh bien, je souhaiterais décaler ces images, et vous donner à penser, Monsieur Palerno. Je tiens à garder intacte ma prétention sur le fait que vous me connaissez forcément, qu'il est impossible que vous n'ayez jamais entendu parler de moi, mais je resterai culturellement modeste : pas de cours de sémiologie appliquée pour discuter un point de détail sur votre perception de la télévision contemporaine. Je voudrais recadrer - voyez, on ne sort pas de la prétention - le tout de votre propos.

Vous mettre mal à l'aise encore : ce que vous écrivez des médias ne changera rien aux médias, qui sont, ne vous déplaise, la force qui va de notre temps, alors qu'à ce qu'il me semble, vous ne pesez pas très lourd à l'audimat, M. Palerno.

Recadrage : vous parlez souvent, dans vos articles, et dans des termes bien peu flatteurs, il est vrai, de ceux qui font la télévision, ceux, qu'en bon humaniste, vous appelez la « matière télévisuelle ». Mais vous ne parlez jamais de ceux qui la regardent. Et il faut bien qu'il y ait des gens qui la regardent, M. Palerno, la télévision n'est même là que pour ça. Ils la regardent, ils l'apprécient, ils l'aiment, ils s'y reconnaissent. J'ai cru comprendre, au fil de vos articles, que vous étiez un fin lettré, et vous connaissez sans doute la distinction qu'établit Valéry entre les œuvres qui créent leur public, et les œuvres créées par leur public ?

Eh bien, voilà une référence très académique qui confère à la télévision une dignité que vous lui refusez : œuvre créée par son public ... Pourquoi pas ? L'audimat est cet instrument très fin, même s'il reste très discuté, qui permet d'atteindre - ou d'essayer d'atteindre, comme on voudra - de façon certes toujours asymptotique, l'adéquation parfaite entre l'œuvre et son public.

Où je veux en venir, M. Palerno ?
Au début de ma lettre et à cette supercherie foncière qui vous autorise à vous prendre pour le défenseur de l'humanité, de l'humanisme, à tout le moins, alors que vous ne nourrissez pour l'humanité dont vous apercevez les reflets sur le petit écran qu'une haine sans mélange. Vos vaticinations antimédiatiques ne relèvent au mieux que de la misanthropie, au pire d'une petite maladie infantile qui vous empêche d'accepter l'existence d'autrui.

Voilà pour le recadrage.

Maintenant, repositionnement.

Cette lettre n'est pas de celles qui attendent une réponse. Bien sûr, j'attendrai avec une certaine curiosité vos prochains articles, pour voir si vous allez faire l'impasse absolue sur ces remarques, ou si vous trouverez le courage intellectuel de donner suite. Vous êtes attaché à un type de fonctionnement social dans lequel l'intellectuel trouve sa place contre le pouvoir - tout contre, vous connaissez ? - tout contre et bien au chaud, dans une sorte de béatitude contestataire. Je n'ai quant à moi pas de modèle, et suis contraint de l'inventer au jour le jour, et j'espère dans ce nouveau type de société qui s'invente de jour en jour, incarner l'intellectuel dans le pouvoir. Le pouvoir n'avait autrefois de cesse d'observer ses sujets. Ce sont maintenant les sujets qui regardent le pouvoir, tous les soirs, sur le petit écran, et je n'éprouve aucune honte à être de ceux qui ont favorisé ce retournement.

Heureux que vous me connaissiez maintenant sous un jour que vous ne soupçonniez sans doute pas.

Scrupuleusement,

 

Pa. Pareille

 


 

Claquement sec des chaussures sur le parquet. Émilie-Lou a entrouvert les yeux, comme automatiquement remis en place la bretelle minuscule, fermé les parenthèses, oublié les escalades

– C'est toi, Raffaele ? C'est toi ... je rêvais que tu passais à la télé, tu sais, ces sortes de débats, et tu en profitais pour révéler, devant tout le monde, et au monde entier, que j'étais une speakerine. Tu le disais comme ça, une spikérrrin' ... comme tu aurais parlé d'une variété d'insecte.
Palerno fronça les sourcils, il se rapprocha et posa la main sur l'épaule d'Émilie-Lou qui lui parut étrangement dense, et forte, il fit jouer la chair entre ses doigts, glisser le cordon ténu, colla sa joue sur la peau tiède.
– Et... pendant que je faisais ces ... révélations ... que faisais-tu, toi ? Et où étais-tu ? Où auras-tu appris à rêver pareil rêve ?
Palerno se détacha lentement puis se leva. Émilie-lou baissa la tête et fit mine seulement de se concentrer. Suite ...