Mais où donc avez-vous appris toutes ces choses ?
D’où vient que vous savez les effets et les causes ?
V. Hugo

 


 

Palerno et l’Affaire Mygale
(La semaine où Hale-Bopp entra dans le ciel)

Résumé

Un étudiant, prenant prétexte d’une Maîtrise, crée et assure le fonctionnement d’un serveur sur le réseau Internet. Mygale est son nom, et il diffuse quelque six mille sites; à boire et à manger. On lui fait savoir qu’il n’a pas respecté une charte qu’il semblerait par ailleurs que personne ne respecte. En fait, et pour parler un langage que tout le monde pourra comprendre, Mygale utilise des tuyaux publics, les utilise beaucoup (forcément : six mille sites...), et, au même titre que beaucoup de choses parmi celles qui existent, cela coûte. On coupe donc l’eau et le gaz, et Mygale émigre vers de nouveaux tuyaux, privés cette fois. De prime abord, la toile s’y tisse, ma foi, aussi aisément.

Palerno a entendu parler de l’affaire Mygale.

Il n’a pas encore l’habitude de réfléchir sur ces choses, ces problèmes de multimedia, trop marginaux encore, une toile encore métaphorique, par rapport au monomedia télévisuel, qui lui ne se vante pas de tisser, mais fait discrètement sa pelote : antennes, paraboles, câbles. Son esprit est ainsi fait qu’il se laisse aller parfois à croire qu’on a inventé ce mythe de l’Internet pour occulter la toile réelle qui s’étend au dessus des toits, s’accroche aux balcons des immeubles dans les périphéries, file sous les trottoirs. Mais cette tendance à croire à la marionnette le fatigue lui-même, : on agite un chiffon face public, et on fait son coup côté jardin. L’énerve parce qu’elle suppose une tactique ou un projet d’ensemble. Et Palerno croit justement qu’en cette affaire, comme en beaucoup d’autres, il n’y a pas de tactique.

Le geste, le chiffon qu’on manipule, mais pas la tactique que suppose le geste.

D’après ce qu’il en a lu, et ce qu’on lui a dit (Palerno a même des amis qui ont signé la pétition en faveur de Mygale, qui ont écrit à des ministres, ce qui n'a pas manqué de lever un sourire aigu à son visage...), il serait question de gros sous, d’argent du contribuable inconsidérément dilapidé par quelques farfelus (« La mygale et la sourmi » : la mygale ayant surfé tout l’été...), de concurrence déloyale et de manque à gagner pour ceux qui pourraient diffuser des internetteries contre monnaie sonnante et trébuchante, et, qui sait, de censure (tellement de choses peuvent se dire en six mille bouches, incontrôlables, inassignables) ! Des sites sulfureux : Génération Écologie !

Et en pleine semaine de la francophonie !

Palerno ne connaît pas assez l’Internet pour émettre un jugement sûr à son propos, mais il ne croit en aucun de ces griefs.Tot ce n’a foison ! rétorque-t-il.
Ou bien parfois : Non c’entra.

Et pourquoi, Palerno ?
L’argument économique lui paraît faible. Il ignore ce qu’a coûté Mygale, mais le bon sens lui fait penser que l’ardoise est nécessairement inférieure à 120 milliards de francs. Or, – il arrive à Palerno de lire la presse – il semblerait que ce chiffre soit la limite en deçà de laquelle il n’y ait rien à redire.

Le souci pour le contribuable n’offre guère plus de pertinence. Palerno sait que le produit de l’impôt est indivisible : si on commence à pinailler sur l’argent que coûte un serveur sur le réseau Internet, pourquoi pas aussi les porte-avions, et ces innombrables giratoires qui vous détournent de votre chemin ? Peu convaincant ...

Pour la concurrence déloyale, il ne sait pas.

Quant à la censure, Palerno a toujours éprouvé un faible pour la paranoïa, mais il se sent obligé de remettre les pendules à l’heure : quelle parole, si neuve, folle, et provocante, pourrait aujourd’hui prétendre à l’interdiction ?

Palerno, pour ceux qui le connaissent bien, oriente désormais ses interventions vers le silence, non pas conçu comme une simple absence de parole. Non; plutôt l’action délibérée de se taire. Après avoir parlé, faire peser le silence comme un pénible blanc technique. D’autres – qui ne le connaissent que par ouï-dire – pensent qu’il y a là un calcul de sa part. De mauvaises langues prétendent qu’il est à sec.

Non, ni censure, ni saine gestion, ni justice fiscale. Ni même malencontreux oubli de se soucier de la francophonie (une gaffe).

Le fin mot : l’indifférence.
L’Internet ne peut être un lieu d’investissement des politiques.

Les hommes de pouvoir – si tant est que des hommes de pouvoir aient eu à voir dans cette affaire, autrement qu’en recevant quelques lettres... Non, Palerno imagine un lointain bureau décisionnel, un homme courbé sur sa table, il est allé déjà dans ces lieux – les hommes de pouvoir sont doués d’un merveilleux narcissisme, et leur intérêt se porte comme naturellement à tout ce qui leur tend micro, caméra; plume, à l’extrême limite. Et doit-il le redire ? L’internet n’est pas un media de masse, et par là ne peut prétendre à l’intérêt des politiques.

Ils ne peuvent même pas s’y montrer, ou alors avec des photos en 2 x 2, même pas exhiber, à l’occasion de quelque manifestation sportive, qui son enthousiasme, et qui son dépit contenu; et serrer des mains au final. Même pas de débats, avec des contradicteurs compétents.

Et puis, en un mot comme en cent, Palerno voit en eux des hommes qui, pour leurs aspirations, sortent tout droit d’un roman de Balzac. Et quant à leurs pratiques, de Maupassant. Zola.

Palerno a lu ces choses. De bons auteurs. Mais Palerno dans ce domaine aspirerait à quelque chose de plus... Shakespearien.

Des hommes qui viennent de l’autre siècle. Déjà bien du mal à s’adapter à la télé...


Internet ? ...