What is
that smell ? |
Il était six heures quand Nortrope le déposa à l'entrée de sa rue, et c'était toujours à l'entrée de la rue que Nortrope le déposait, parce que Palerno n'aimait pas courir le risque que sa concierge le surprît en pareil équipage, et aussi - il est parfois des choses qui satisfont tout le monde - parce que Nortrope abhorrait les voies à circulation unique. La rue était encore pavée, des rumeurs avaient circulé et circulaient encore sur les risques de son revêtement, et comme Palerno la remontait, le soleil commença à s'étirer comme un gros félin jaune et lui fit lever les yeux. Dans le hall de l'immeuble, très sombre, tellement obscur, il aperçut sa concierge glissant une mine chafouine entre la porte et le chambranle de sa loge. |
– Ah, Monsieur Palerno ! |
Après une si longue absence ! Comme l'astre de
la nuit derrière les nuages par grand vent dans le ciel, elle s'était
éclipsée derrière un rideau de mousseline. Quand elle reparut, elle
tenait à la main un fort paquet de lettres aux
formats de toutes sortes, et elle lui sourit avec aux lèvres une
clarté de confiance absolue.
L'immeuble était équipé de deux ascenseurs, tous deux présents au rez de chaussée, et Palerno dut forcer son instinct pour se glisser dans celui de droite. Un voleur, simple d'esprit vraisemblablement, avait dérobé le miroir qui en garnissait le fond, et avec lui le tain tout imbibé de toutes les mimiques, amusées, angoissées, sceptiques ou simplement indifférentes que la machinerie Westinghouse avait éveillées chez ses usagers, et c'est donc seul, doublement seul, privé de son reflet, qu'il monta face au défilé anonyme des portes d'étages, ennuyé comme au passage d'une pellicule voilée. N'ayant pas pris la peine de s'en composer un, c'est donc sans visage qu'il gravit les cinq étages qui le séparaient de son appartement. Alors que les émotions hydrauliques s'atténuaient, que l'ascenseur manifestait par maints signes imperceptibles qu'il allait stopper, Palerno souhaita à ce fou voleur de miroirs, collectionneur trop simple peut-être, toutes les chances du monde. |
– C'est ça, reprit-il fixant son image absente au fond de la cabine, toutes les chances du monde ! |
Quand
la porte se referma, il sentit autour de son nez, dans son nez,
l'agression d'une odeur violente et comme - c'est le mot qui lui vint à
l'esprit - comme intentionnelle. Ca sentait le propre. Palerno regarda
tout alentour, ne vit en fin de compte que le paquet qu'il serrait entre
ses mains, et c'était bien ça, son courrier s'était imprégné dans
la loge, des fragrances de toutes sortes de produits d'entretien,
citron, lavande et citronnelle, et même, derrière ce fatras olfactif,
l'odeur du propre, la propreté saisie en sa sensorialité nue, une
odeur qui ne sentait rien d'autre qu'elle-même, et qui était la
Propreté. D'abord interdit, pesant sur les parois de l'interminable
couloir qui menait à son appartement, Palerno approcha l'épaisse
liasse de lettres de ses narines qu'il fit frémir à son approche,
qu'il éloigna et rapprocha encore.
Il allait grommeler, soupira et finit par se taire. Et il enfouit la liasse dans son veston. Dans l'appartement, il y avait l'odeur de l'appartement, un mélange d'exhalaisons d'abeille et de térébenthine en note de fond, qui avaient commencé à filtrer sous la porte quand il était sur le paillasson, et une nuance de renfermé ; derrière ce fond, en filets minces et ondulants, des senteurs d'épicéa mûries sur la peau fraîche et animale d'Émilie-Lou. Note de coeur. Elle dormait à plat ventre, une bretelle, virgule glissée à son épaule. Palerno s'approcha, posa délicatement son nez à la naissance de l'oreille, mesura le souffle et se redressa. Émilie-Lou ne faisait que dormir. Il s'allongea à son côté, prit garde à ne pas effleurer la belle endormie, et alors seulement réalisa qu'il avait oublié de retirer ses chaussures. Il ne se sentit ni le courage ni l'envie de corriger ce faux pas. Il faisait bon, la lumière du jour commençait à frayer son chemin entre les stores, juste assez pour lire avec un peu de difficulté. Feuilletant son paquet de lettres, il en sélectionna cinq, fourra le reste sous le lit, finit de l'ensevelir à l'aide de quelque chiffon de dentelle qui trainaît là, et il décacheta la première lettre. |
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