Homo &acutus ad cogitandum

 

 

Je passe pour un expert en langage machine.

L'éditeur m'a confié la tâche de remettre un peu d'ordre dans ce capharnaüm informatique intitulé Écran Total.
  • Remise en ordre : rétablir la vérité de la disquette, ses fichiers dans un archéoformat que j'ai dû pratiquement réinventer.
  • Remise en ordre : des numéros en lieu et place de titres. Au moment de la résurrection de la surface magnétique endommagée, les fichiers sont apparus dans un ordre qui n'est peut-être pas l'ordre original. J'ai numéroté les fichiers dans l'ordre où ils sont apparus à l'écran. Le fichier 01 pourrait être un premier chapitre si l'on admet qu'une histoire peut commencer in medias res. Malheureusement, beaucoup d'autres pourraient aussi constituer un début, mais pour d'autres histoires. Le dernier (52) pourrait à sa façon faire une fin. Mais je dois reconnaître que je n'ai pu identifier qu'exceptionnellement les liens qui enchaînaient les autres fichiers. J'ai été amené parfois à permuter, à suppléer, à compléter : refaire des transitions, composer des paragraphes, voire des pages entières qui, de toute évidence, manquaient.
Parfois aussi, j'ai abdiqué.
  • Remise en ordre : je dois parler maintenant de ce qui reste pour moi un mystère. Parmi les codes et symboles épars sur la disquette, j'ai trouvé des signes sans cohérence, incongrus dans ce contexte : des marqueurs HTML, mais vides. Et je dois le préciser, de tous les langages, le HTML est ma spécialité. « Hasch, Thé et Miel », j'en ai fait une devise, un régime, j'en ferai peut-être une raison sociale.
Je reviens au mystère : ces fichiers ont été composés à une date où le HTML balbutiait, et sur une machine de toute façon impropre à la communication hypertextuelle. Cela m'a incité à relire tous les fichiers dans lesquels j'ai aperçu des allusions nombreuses au défaut de communication, aux messages obscurs, incompris, que l'on comprend cependant, et aux messages clairs qui sont mésinterprétés. Et, à défaut d'une périphérie claire, je crois avoir découvert le centre de l'Écran Total dans une épigraphe particulièrement étrange (toutes, à leur manière, sont étranges : en Anglais et/ou obéissant à des motivations lointaines, et/ou d'allure controuvée, ou encore de Palerno en personne, ou d'on ne sait qui). Celle-là était rédigée en Français, elle était développée, elle avait un auteur assignable et authentique (j'ai vérifié), et strictement rien à voir avec le chapitre qu'elle introduisait.

« Un style de décadence est celui où l'unité du livre se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l'indépendance du mot ».

P. Bourget Essai de psychologie contemporaine


C'est clair. Toute la logique du langage HTML sort de ces lignes, et pour moi, cela a été comme une évidence : la lumineuse clarté des messages obscurs. J'ai pris le parti de rétablir le texte dans ce qui m'est apparu alors comme sa vérité éclatée. Tel qu'il se présente maintenant, à l'état d'hypertexte, toutes les pages d'Écran Total ouvrent sur d'autres pages, le centre en est partout, et la circonférence nulle part.
Je vais abandonner pour quelque temps mes activités de restauration de supports magnétiques. Tant d'octets se perdent ! Des indices sûrs me laissent penser que Palerno existe, évidemment sous un autre nom, ou dans un autre texte. Une femme, peut-être ? Et je devine, ayant déjà tellement compris, que je peux le rencontrer. J'y mets la dernière main.