La critique pense pour vous. Pensez plus vite que la critique.
J. Cage




 

Ma partie, c'est la critique musicale, et on m'a consulté sur les nombreuses épigraphes qui jalonnent Écran Total et qui, pour beaucoup, proviennent du domaine anglo-américain de la fin du XXème siècle. Mais je voudrais d'abord mettre un certain nombre de choses au point. Contre l'avis de l'Éditeur, il m'a semblé nécessaire d'avoir accès à la totalité du « manuscrit » : les exergues, et le texte. On m'y a enfin autorisé, non sans quelques réticences, et j'ai pu lire le texte in extenso, sans me laisser aller à ces tentations de frénésie pucière, tous ces mots en bleu.

Première remarque : derrière le décor moderne, voire moderniste du récit, Palerno me semble sorti tout droit du monde romanesque du XIXème siècle : un personnage singulier qui ne peut se faire à l'idée que des millions de gens vivent en même temps que lui, et pire, qu'ils s'adonnent aux mêmes activités en même temps que lui. Par exemple, regarder la télévision, ensemble, à quelques millions. On peut comprendre que les médias de masse lui soient un problème. Quant à sa démarche, aussi bien théorique que pratique, je ne peux porter de jugement. Mais en ce qui concerne ses comparses de l'Institut, je m'étonne que l'on puisse faire tellement de phrases, et tellement contournées, pour dire simplement que la télévision prend les gens pour des imbéciles, et que l'audimat le lui rend bien. Déplorable enculage de mouches.

Même chose : le Complot. Difficile de suivre les élucubrations de ces mirflifores, mais à l'instar de Palerno, je ne crois pas non plus à un complot éteint, couvé par une chouette, fût-elle de Minerve. Tous ces gens sont comme ce jésuite, qui, demandant sa route, s'était vu répondre : « Vous ne pourriez pas comprendre, c'est tout droit ! ». Tout est beaucoup plus simple à mon sens : telle chaîne de télévision fait la promotion de quelque potentat africain susceptible d'acheter du béton ( par exemple ) parce que, outre ses activités télévisuelles, son premier métier est de vendre du béton, ou des adductions d'eau, ou n'importe quoi d'autre. Toutes les théories qu'on peut faire par ailleurs sur les médias, y compris celles de Palerno, ne sont que des marionnettes. On agite la marionnette d'un côté, et des experts déménagent le butin de l'autre.

Bon, ça va. En ce qui concerne les épigraphes : elles sont nombreuses, variées, pour ne pas dire hétéroclites. Rarement en rapport direct avec le texte, ou selon une logique que je n'ai pas perçue. Mais beaucoup de rapports indirects. J'ai dû faire des recherches, vérifier : beaucoup de blues, ou du rock archaïque, avec des sources souvent erronées. Des confusions entre l'auteur et l'interprète, parfois entre auteurs. Promotion, même, de personnalités de la scène politique au sommet du show-biz, à l'occasion. Par exemple, « ...n'a rien fait qui suscite le respect », de Mitterrand : il est vrai que Mitterrand a eu une tentation hip hop à un moment, mais il n'a jamais rien produit, au bout du compte. P. Bourget est inconnu à la SACEM. Et Galaad ? Un barde celte ?

Il me semble clair que ces exergues ont été placés dans l'intention de brouiller les cartes à l'intérieur d'un récit qui ne brille pas par la limpidité : Palerno y va lui-même de son exergue, et Walt Disney aussi. Au moment où Nortrope et Palerno s'interrogent sur le Complot, en voiture, je me demande si l'on ne pourrait pas trouver une nouvelle ligne de lecture pour Écran Total : ce Syd, qui selon Nortrope, fait une recherche sur toutes les morts violentes des rock-stars des années 70... J'ai vérifié, toutes apportent leur obole aux exergues, à une exception près (mais on m'a dit que ce texte était arrivé incomplet chez l'éditeur, ou inachevé. À mon avis, ils racontent des histoires).

Je crois que le rapport doit être moins de sens que d'ambiance, comme une clé musicale pour un chapitre, une indication lexique (on me dit que ce n'est pas clair : on parle d'indications scéniques, non ?). Nombreux parmi ces exergues sont de simples titres, et parfois des titres de compositions instrumentales, sans paroles. Pas de sens, donc, seulement une mélodie, sans doute appelée, ici ou là, par tel ou tel mot d'un chapitre, telle ou telle situation. De simples associations, je crois.