Aujourd'hui encore, je ne peux dire qui est ce Palerno
dont il est question dans ces pages, et quant au récit
qui le met en scène, je l'ai découvert de façon
totalement fortuite : collectionneur d'objets insolites, j'ai déniché
voici peu un micro-ordinateur des années 80, équivalent par son
archaïsme de ce que fut le Teppaz™
vis-à-vis des lecteurs laser d'aujourd'hui.
Avec la machine, une
flopée de floppies, aux formats déconcertants, tant du point de vue de
la taille que du système
d'exploitation. L'un d'entre eux a attiré
mon attention : les répertoires divaguaient, étaient soumis à un grand désordre, nombreux secteurs endommagés, chaînes obscures. J'ai confié l'ensemble à un ami, un Expert digne de toute confiance, héritier de ces hommes capables dans le passé de
restituer à leur pleine lisibilité des palimpsestes. Après quelques
semaines, il me montra les fruits de son travail, des disquettes
désormais lisibles, même si leur contenu ne pouvait prétendre encore
à la limpidité. Il y était question d'un professore Palerno, un
humaniste, terroriste à ses heures, à ce
que j'ai cru comprendre ... Un aventurier.
L'histoire était obscure, personnages et événements en semblaient forcés, l'ensemble était difficilement
crédible.
Parmi les personnages, nombreux et peu
vraisemblables, certains semblent sortis tout droit
de fictions un peu cheap : de l'espionnage,
du thriller - avec des noms qui ressemblent à
des noms de code : « Ludwig » ... « Wolfgang » - des noms qui ressemblent à des allusions qu'on ne comprend pas : « Nortrope », « Mi ». Parfois quelques lignes de roman psychologique.
Des genres disparates, des lettres, des extraits de
pamphlets, des plans, ou
des allusions à d'autres brûlots perdus dans
le désastre de la disquette, un thème astral
aussi, je crois. Des récits enchâssés, des remarques à prétentions
philosophiques, une
théorie sur les médias, dont on ne comprend pas bien s'il faut l'apprécier ou si l'auteur a voulu en faire la
critique. Pas clair. Le seul fil directeur que je crois avoir perçu est
cette haine que le professore éprouve à l'égard de la télévision. On le lui reproche en tout cas,
et je ne serais pas loin de me ranger sur ce point, à l'avis de la
plupart de ses détracteurs, mais pour d'autres
raisons : n'est-ce pas déjà de l'Histoire, obsolète comme la machine sur laquelle ces pages se sont
un jour élaborées ?
L'obscurité est féconde. Je me suis penché et repenché encore sur ces cybergrimoires, et ai fini par y reconnaître,
derrière ce qui semble le fil apparent -
cette critique de la télévision - des
thèmes récurrents. On disparaît beaucoup dans ce
texte, toutes sortes
de gens, qui réapparaissent parfois sans qu'on
sache précisément s'ils étaient bien les mêmes au moment où ils avaient disparu. J'ai pour ma part relevé une sorte de nostalgie de la poussette
: Palerno aime bien être promené en voiture, avec
chauffeur, en avion parfois (beaucoup
d'épisodes (?) ont lieu aux Etats-Unis, New York et sa banlieue). Il
est question aussi, de façon plutôt insistante,
d'un Complot, auquel je n'ai rien compris, et auquel
le protagoniste du récit lui-même semble ne pas croire. Le chapeau mou semble occuper une place
centrale, et j'ai même cru voir la fin de ce récit dans le fichier où
il est emporté par le vent.
Et puis, relecture faite, j'ai dû
accepter l'idée qu'il le perdait plusieurs fois. Angoisse de castration
?
Il y a aussi des
messages obscurs dont
les destinataires sont aléatoires.
Sur la disquette, et c'est ce qui retint
mon attention au départ, sur cette disquette particulièrement,
(d'autres aux titres étranges me restent encore, que je confierai à l'Expert, quand il reviendra d'un voyage dont il semble en ce moment préoccupé)
était écrit simplement au crayon gras :
Écran total